Intégrer le meilleur état des connaissances du monde

Innover, c’est intégrer le meilleur état des connaissances dans des produits et services créatifs avec pour objectif d’améliorer la vie de la société et des individus.

Ces trois composantes : les connaissances, la création et l’amélioration de la vie constituent les éléments fondamentaux de toutes les démarches d’innovation. Ils sont selon les acteurs et les époques privilégiés comme facteur déclencheur. Albert Meige et Jacques P.M. Schmitt nous font parcourir ces différentes approches et sensibilités des démarches d’innovations

  • technical push et innovations issues de la connaissance comme facteur premier,
  • valorisation de la vision du créateur, designer, entrepreneur,
  • human centric innovations issues des attentes rêves et désir des individus.

De ces différentes approches, nous partageons résolument celle de Steeve Jobs :

You’ve got to start with the customer experience and work back toward the technology – not the other way around. You can’t start with the technology and try to figure out where.

Si cette vision place l’individu et non les technologies au cœur de l’innovation, elle est beaucoup plus exigeante en termes de connaissances, que la simple recherche d’applications d’une technologie ou d’un concept. Elle exige que l’entreprise innovante aille rechercher les connaissances et les technologies les plus pertinentes, quelles qu’elles soient et d’où qu’elles viennent puis qu’elle les combine de la meilleure façon possible pour améliorer la vie réelle.

Cette vision universelle des sciences technologies et connaissances comme matières premières d’innovations « user friendly » est à la source du succès d’Apple, première entreprise mondiale en termes de valeur, alors que ses dépenses de R&D sont extrêmement faibles par rapports aux autres entreprises électroniques – moins de 4% du chiffre d’affaires au cours des dix dernières années contre 10 à 20% pour ses concurrents -.

Un Iphone est un produit extrêmement simple et convivial pour l’utilisateur et intérieurement hyper-complexe, cette complexité résultant de la combinaison des meilleures technologies venues du monde entier : d’Allemagne, de Corée, du Japon, de Chine, des Etats-Unis, et de dizaines d’autres pays. C’est en quelque sorte un best off des meilleures compétences du monde en technologies  mobiles. Or, Apple ne pointe qu’au-delà de la trentième place des possesseurs de brevets en téléphonie mobile, soit 20 fois moins que son principal concurrent, Samsung.

Autre point fondamental, Apple renouvelle rapidement ses produits, avec une régularité de métronome : Iphone 3, 3s, 4, 4s, 5, 5s… ce qui signifie donc un rafraichissement de toutes les technologies constitutives à un rythme annuel, voire semestriel !

Ceci montre combien le monde a changé par rapport à il y a une trentaine d’années. Triomphaient alors de grandes entreprises, fermées au « not invented here », qui concevaient l’essentiel des technologies de leurs produits dont le  développement  durait plusieurs années, voire une dizaine d’années.

C’est peu dire que cette approche ouverte et rapide de la conception de nouveaux produits hyper -complexes a bouleversé le monde de l’innovation.

C’est au cœur de cette révolution que nous entraînent Albert Meige et jacques P.M. Schmitt, avec le gros avantage qu’ils l’ont vécu au plus près des entreprises leaders et qu’ils ont été des précurseurs dans la recherche et la conception des outils de l’open innovation.

Il y a 300 ans déjà

La question de la progression constante des connaissances et de leur segmentation en de multiples disciplines de plus en plus étanches avait déjà préoccupé les grands penseurs de la Renaissance et les « Lumières ». C’est Leibnitz, immense penseur, « le philosophe des philosophes » mais aussi génial mathématicien et grand innovateur qui est considéré comme le dernier « savant » capable de comprendre tous les ouvrages scientifiques d’une bibliothèque. Il en était lui-même conscient, d’autant que malgré son génie, il vivait de sa charge de bibliothécaire.

La perspective d’une connaissance qui serait désormais de plus en plus partielle, chaque homme, fut-il le plus intelligent, ne maîtrisant plus qu’une partie de plus en plus restreinte de la connaissance, lui faisait craindre le pire, à savoir des décisions erronées car fondées sur une connaissance partielle. Il a alerté ses contemporains et cherché des solutions, demandant d’abord aux scientifiques de la concision, allant même jusqu’à proposer qu’un auteur ne puisse pas écrire plus de deux livres (avec donc un droit à l’erreur), pour l’obliger à ne transmettre que sa contribution réellement originale, sous peine de n’être pas lu.

Comprenant que l’évolution vers plus de complexité était inéluctable, il a consacré ses recherches aux façons d’accéder à la complexité avec des outils simples. Dans le domaine des mathématiques il a réussi de façon magistrale, en créant en 1679 le langage binaire, avec seulement deux signes, des 1 et des 0. Ce langage très simple s’est substitué à toutes les numérotations compliquées précédentes. Il permet les calculs les plus complexes et a ouvert la voie à la révolution digitale qui s’est déployée trois siècles plus tard avec l’invention de la technologie permettant de le mettre en œuvre, le transistor.

Sans vouloir comparer directement nos deux auteurs à Leibnitz, leur quête -absolument nécessaire- d’outils simples d’appréhension de la complexité,  de la diversité, et du renouvellement des connaissances en font ses fils spirituels directs.

Un défi vital pour les entreprises actuelles

Dans les enquêtes réalisées chaque année sur les enjeux stratégiques  d’innovation des entreprises leaders mondiales, celui de l’accès aux connaissances et technologies nouvelles ne cesse de progresser. C’est aujourd’hui  un  frein majeur à l’innovation, ceci alors que paradoxalement tout semble disponible sur l’Internet.

La dernière édition de 2014 du Global Innovation Barometer, enquête de référence mondiale, que publie chaque année General Electric (plus de 3000 entretiens avec des responsables innovation dans 26 pays), pointe ce problème comme à la fois vital et très mal maîtrisé par les grandes entreprises.

De fait, la mesure du progrès des sciences technologies et connaissances montre l’ampleur vertigineuse du problème. Au rythme de plus d’un million de nouveaux chercheurs et ingénieurs en R&D  par an, il faudra moins de 10 ans pour que leur nombre de passe de 10 à 20 millions  à horizon 2020. Quant au flux croissant des publications, qui passeront prochainement les 5 millions par an, et de brevets, qui ont déjà passé les 2 millions par an, ils ne sont pas prêts de s’inverser.

Comment dans cette masse, l’entreprise peut-elle bien identifier les inputs de connaissances et technologies nécessaires à sa dynamique d’innovation et se protéger de leur obsolescence rapide. Le problème est d’autant plus compliqué qu’il existe d’importantes interférences entre les technologies et que les stratégies d’innovations « horizontales » ont considérablement élargit le champ concurrentiel.

Ainsi, Michelin, qui a dominé le monde de la cartographie routière pendant plus d’un siècle s’est vu déposséder de son leadership par Google, qui venait pourtant d’un tout autre monde et qu’il a mis du temps à identifier comme un vrai concurrent.

De même, début 2015 la SNCF a surpris son auditoire en présentant ses objectifs stratégique, et en citant le même Google comme son principal concurrent, suivi de Blablacar, start-up du co-voiturage devenue rapidement leader européens avec plus de 10 millions de membres et 2 millions de personnes transportées par mois. Ensuite, la SNCF a présenté sa « stratégie digitale » pour les années à venir, particulièrement ambitieuse, dans un domaine se situant pourtant bien loin de ce qui était le cœur de ses compétences il y a encore 5 ans.

Même dans leurs domaines d’excellence, les Entreprises leaders ne se sentent plus à l’abri d’évolutions technologiques très rapides ou de substitutions de technologies qu’elles maîtrisent bien par des technologies exogènes qu’elles ne maîtrisent pas et qui peuvent s’avérer plus efficaces. Et si le problème est déjà très difficile à maitriser par les grands groupes, que dire des entreprises moyennes ? et start-up.

Un ouvrage salutaire et visionnaire

Dans leur ouvrage,  Albert Meige et Jacques P.M. Schmitt nous montrent d’abord l’ampleur du problème en expliquant la fragmentation des connaissances, leur croissance exponentielle et leur vitesse de renouvellement. Ils justifient l’évolution irréversible vers l’open innovation, liée à la synthèse nécessaire entre cet éclatement des connaissances et la complexité croissante des produits.

Ils questionnent ensuite la nature et le rôle des « experts », interfaces indispensables, y compris et surtout dans un monde digitalisé, entre la multiplicité des connaissances brutes et non évaluées et les entreprises qui veulent les identifier et les utiliser en connaissance de cause.

Il inventorient également les outils et démarches misent en place par les entreprises pour gérer ce nouveau contexte dans lequel doivent se situer les nouvelles formes de gestion des connaissances, en analysant notamment

  • l’émergence d’une fonction de Chief Innovation Officer, qui ne remet en rien en cause celle de Chief Technology Officer,
  • Le développement des Innovation labs
  • La généralisation des approches « user centric » de l’innovation et notamment le design thinking

Enfin, la partie la plus importante et la plus créative de l’ouvrage porte sur une anticipation de ce que pourraient être les outils d’ « innovation intelligence » répondant aux attentes de ce nouveau monde.

Y sont notamment étudiées de façon pragmatique et concrète les relations entre compétences et experts  internes et externes, entre services d’informations pré-formatées et ad-oc, entre exploration, investigation et expérimentation, entre utilisation de systèmes automatiques et intervention humaines …

innovation-intelligence-amazonCette réflexion a le double avantage de s’appuyer  à la fois – sur l’expérience unique de Presans, qui a joué un rôle important dans l’émergence du crowdsourcing de compétences, et  – sur des interviews de responsables d’innovation de grandes entreprises et  start-ups, qui garantissent l’insertion des solutions proposées dans les préoccupations et le vécu des entreprises d’aujourd’hui.  Le zoom sur Parott, start-up phare du secteur émergeant des drones montre combien la nouvelle génération d’entrepreneurs est parfaitement à l’aise avec l’outsourcing de compétences au service de sa vision.

L’ambition de ce livre est de déboucher sur des outils d’« innovation intelligence », au service de la création de valeur des entreprises par l’innovation encore plus rapide et pertinente, en leur donnant accès en temps réel au dernier état des sciences et technologies.

Merci donc à Albert Meige et Jacques P.M. Schmitt pour ce travail salutaire dans lequel il ne fait nul doute qu’aussi bien les Directions de Recherche & Développement, les Directions Techniques et les Directions de l’Innovation des entreprises trouveront là matière à relever le grand défi de tirer le meilleur parti de ce gigantesque flux de connaissances

 

Marc Giget

Président de l’European Institute for Creative Strategies & Innovation et du Club de Paris des Directeurs de l’Innovation

Membre de l’Académie des Technologies

 

Cet article a été publié initialement comme préface du livre Innovation Intelligence (2015).