Le mot «disruption» est utilisé, jeté à tout va en ce moment, y compris sur ce blog. Trois significations plausibles émergent du chaos sémantique:

  1. La disruption comme dilemme de l’innovateur (Clayton Christensen)
  2. La disruption comme stratégie de la terre brûlée dans le numérique (Bruce Sterling)
  3. La disruption comme un mot à la mode dévoyé (Peter Thiel)
  1. Le dilemme de l’innovateur

Christensen a écrit une série de livres basés sur l’idée que la difficulté les entreprises établies à passer aux nouvelles technologies de produits explique la mort soudaine de sociétés en bonne santé. Se baser sur le client est inutile lorsqu’il s’agit d’éviter d’être aveuglés par des technologies qui, au premier abord, ne semblent pas constituer une menace. En effet, les produits offerts par des concurrents perturbateurs ont tendance au début à offrir des performances moindres. Pensez aux appareils photo numériques précoces face à Kodak.

Les cultures d’entreprise peuvent aggraver cette difficulté, au point que le passage devient impossible.

  1. La bataille

Dans son essai The Epic Struggle of the Internet of Things, paru en 2014, Bruce Sterling se concentre sur un aspect de la disruption observable chez les GAFA: «La bataille classique est de donner, d’accorder, de manière seigneuriale, ce que les autres valorisent le plus. » C’est autant disruptif pour les entreprises établies et que les nouvelles. Si un GAFA fournit un service de cartographie GPS «gratuit», c’est très difficile pour les entreprises de géolocalisation de gagner de l’argent en faisant payer les consommateurs.

  1. Ne pas perturber

Tel est le conseil de Peter Thiel. Voici une citation sur la question tirée de son livre Zero to One :

«  La Silicon Valley est devenu obsédée par la «disruption ». A l’origine,« disruption » était un terme technique utilisé pour décrire comment une entreprise peut utiliser les nouvelles technologies pour introduire un produit bas de gamme à bas prix, améliorer le produit au fil du temps, et éventuellement dépasser les produits haut de gamme offerts par les entreprises établies qui utilisent l’ancienne technologie. C’est à peu près ce qui est arrivé quand l’avènement des PC a disrupté le marché des ordinateurs avec unité centrale : le premier PC ne semblait pas pertinent, il est devenu dominant. Les appareils mobiles aujourd’hui auront peut-être le même effet sur les PC.

 

Cependant, disruption s’est récemment métamorphosé en un mot chargé d’autosatisfaction pour tout ce qui se veut branché et nouveau. Cet engouement apparemment bénin est important puisqu’il fausse la compréhension de soi d’un entrepreneur dans un sens intrinsèquement compétitif. Le concept a été inventé pour décrire les menaces pesant sur les entreprises établies, de sorte que l’obsession des start-ups pour la « disruption» signifie qu’elles se voient à travers les yeux de ces entreprises plus anciennes. Si vous vous pensez comme un insurgé luttant contre les forces obscures, il est facile de devenir excessivement obsédé par les obstacles qui pavent votre chemin.

Mais si vous voulez vraiment faire quelque chose de nouveau, l’acte de création est beaucoup plus important que les anciennes industries qui pourraient ne pas aimer votre création. En effet, si votre entreprise peut être résumée par son opposition à des entreprises déjà existantes, elle ne peut pas être complètement nouvelle et elle ne deviendra probablement pas un monopole. »

 

Notez que le premier alinéa fait évidemment référence à l’analyse de Christensen, et que dans le cadre de Thiel, devenir un monopole est l’objectif premier d’une startup.

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Dans ces trois cas, la perturbation implique la destruction de la valeur économique: les entreprises en bonne santé disparaissent ;  de nouvelles entreprises sont empêchées de gagner de l’argent ; la concurrence détruit la valeur qui sinon serait capturée par un monopole. Il semble donc légitime de considérer que, dans une certaine mesure, la «disruption» est essentiellement un autre mot pour «destruction créatrice».

La seule forme d’innovation qui ne soit pas « disruptive », c’est l’innovation incrémentale. L’innovation de rupture est nécessairement perturbatrice pour les concurrents. Ce n’est généralement pas mentionné puisque c’est un aspect assez évident. La substitution est souvent le seul moyen de surmonter la stagnation.