Le transhumanisme suscite actuellement de nombreuses discussions en France. Voici quelques noms de participants dans cette discussion : Bernard Stiegler, Luc Ferry, Laurent Alexandre, Éric Sadin. La liste n’est pas exhaustive.

La notion de transhumanisme englobe :

  • Une transformation de la médecine dans le sens d’une extension indéfinie de la vie d’un individu, et d’une extension indéfinie de ses capacités physiques et psychiques.
  • La colonisation d’autres planètes, à commencer par Mars.
  • L’émergence d’intelligences artificielles supérieures à l’homme.
  • L’hybridation homme-machine et le téléchargement d’une personne sur un support non biologique.

Un transhumaniste est quelqu’un qui mise sur le dépassement futur de la condition humaine : dépassement des limites actuelles de la durée d’une vie, dépassement de la restriction de la vie humaine à une planète, dépassement de la solitude de l’intelligence humaine, dépassement du support biologique de la vie humaine (le dépassement du besoin de travailler par la grâce ou par la contrainte de la robotisation est perçu par les transhumanistes comme une étape intermédiaire dans ce processus).

Encore cette liste ne se prétend-elle pas limitative : d’aucuns parmi les transhumanistes visent notamment l’abolition totale de la souffrance humaine et animale — projet qui demeure cependant dans le cadre d’un dépassement, ou d’une intention de dépassement de la condition humaine.

Un dépassement vers quoi? Soit vers une forme d’existence post-humaine, soit vers un prolongement de l’humain tel qu’il se pratique depuis que l’homme est un fabriquant d’outils, c’est-à-dire depuis toujours, voire depuis avant même que l’homme soit humain, dès lors que l’évolution technologique peut fort bien s’interpréter à la suite de Samuel Butler ou d’Henri Bergson comme le prolongement de l’évolution biologique, les outils externes comme le prolongement des organes vitaux (pensons aux mitochondries).

Quant à la post-humanité, elle peut revêtir plusieurs aspects, certains coexistant, d’autres se substituant à l’humanité telle que nous la connaissons. La possible éradication violente de l’humanité par sa progéniture technologique fait ainsi l’objet de discussions et d’études sérieuses, ce qui montre que le potentiel de disruption du transhumanisme ne saurait être balayé d’un revers de main philosophique. Il convient au contraire de distinguer, en suivant la clé proposée dans un article antérieur, entre trois aspects de la disruption transhumaniste.

Le transhumanisme comme disruption à la Christensen?

On peut penser que les pionniers ne seront d’abord pas nombreux qui tenteront le vol vers Mars, ou laisseront des nano-robots réparer ou altérer leur corps. Par ailleurs, les technologies qui proposeront un substitut à la procréation biologique seront toujours en compétition avec cette méthode ancienne et vénérable — sauf altération stérilisante de l’espèce, comme dans le cas des semences industrielles. Le transhumanisme prospèrera-t-il alors d’abord sur des segments minoritaires du marché, loin du mainstream? Ou alors ne relève-t-il pas davantage de l’innovation de rupture, en tant qu’il apporte des performances sans équivalents sur le marché actuel? Envoyer des hommes sur Mars peut être interprété autant comme une prouesse inouïe que comme le choix d’un substitut inférieur à la Terre — et il n’est pas certain que de terraformer la planète rouge mette tout le monde d’accord… Même l’extension indéfinie de la vie individuelle peut être jugée inférieure à la solution actuelle qui consiste à engendrer et périr — cependant qu’il est déjà certain que nombreux seraient ceux qui opteraient pour la première solution s’ils le pouvaient.

Le transhumanisme pourrait avancer par infiltration cachée pour une autre très humaine raison : pour vivre heureux vivons cachés — la part de marché de l’humanité ordinaire se réduirait alors sans grandes annonces, par une révolution silencieuse qui repousserait le plus loin possible l’éventuelle confrontation entre humains et post-humains.

La discrétion n’est cependant pas une stratégie facile à mettre en oeuvre.

Le transhumanisme comme disruption à la GAFA?

Les GAFA fournissent quantité de services « gratuits » en échange de données. Ceci rend ces marchés difficiles à aborder avec des modèles économiques classiques. Dès lors que de nombreuses activités seraient vouées à disparaître sous l’effet de la robotisation, qui elle-même pourrait préfigurer l’émergence d’intelligences artificielles générales, la question se pose de déterminer quels secteurs ou types d’activités demeureraient humains.

La transformation en cours dans le domaine des transports illustre cette interrogation, puisque les véhicules autonomes sont le fer de lance de l’envahissement de nombreux domaines d’activité par des intelligences artificielles spécialisées. Le besoin d’êtres humains dans ces activités devient résiduel :

Ainsi, les voitures autonomes d’Uber sont munies d’êtres humains pour absorber la responsabilité civile en cas d’accident.

Ce choix d’Uber indique un fait qu’il importe de garder présent à l’esprit : les activités humaines sont et seront a priori celles où les notions de responsabilité, de jugement et d’initiative jouent un rôle clé. C’est là sans doute la partie la plus solide de notre business model.

Le transhumanisme comme buzzword?

La pensée transhumaniste possède une longue histoire, que Nick Bostrom retrace à merveille dans ce document. À sa lecture, il est difficile de ne pas se demander si la prétention de transcender la condition humaine, pour fascinante qu’elle puisse être, ne repose en fin de compte pas, après tout, sur une part non négligeable de niaiserie ou de naïveté philosophiques.

Bien téméraire me paraîtrait celui qui placerait de grands espoirs dans le fait de pouvoir un jour télécharger sa personne sur un support non biologique — en quoi ferait-il beaucoup mieux que l’auteur d’un livre, fondamentalement? Le matérialisme éliminativiste sous-jacent à ce type de projet n’est pas mieux démontré qu’une autre philosophie. Cette remarque n’empêche évidemment pas que de réelles découvertes, en particulier portant sur le cerveau, puissent être faites sous l’impulsion de cet espoir — ni que les téméraires puissent avoir raison.

Loin de moi l’idée que l’éradication future de l’humanité par une intelligence artificielle ne constitue pas une question sérieuse. Il faut louer les efforts actuels d’anticipation et de prise en compte des conséquences négatives des transformations technologiques entrepris notamment par Elon Musk. La notion de transhumanisme n’est pas un buzzword, car, en plus de susciter des espoirs en partie infondés, elle inspire des craintes tout à fait réalistes.

Dans la Silicon Valley, l’un des premiers à avoir thématisé les nouveaux périls technologiques fut Bill Joy en 2000 dans Why the Future Doesn’t Need Us (Il s’agit du même Bill Joy qui aurait, selon Chris Anderson, formulé le principe selon lequel « peu importe qui vous êtes, la plupart des gens intelligents travaillent pour quelqu’un d’autre »). Cet essai suscita un débat important. Le penseur de gauche Guillaume Paoli remarqua alors que si les perspectives totalitaires et désolantes esquissées par Joy ne suscitaient aucune révolte, c’est que sans doute les hommes devenaient plus stupides, et en tout cas plus apathiques, que les machines. La transformation permanente de la vie serait subordonnée exclusivement à la permanence du pouvoir.

Mais revenons à l’excellent historique de Nick Bostrom. Il fut écrit en 2005, ce qui détermine le regard qu’il porte sur la dimension politique du transhumanisme. S’il était possible en 2000 de juger les ingénieurs de la Silicon Valley indifférents par arrogance aux questions de politique, la situation a bien changé aujourd’hui. D’une part, les nouveaux titans de l’économie numérique ont vite découvert l’importance de la politique pour leurs affaires. D’autre part, on peut noter au sein du champ des opinions l’émergence de la combinaison technophilie / conservatisme social dont Bostrom pouvait encore noter l’absence avec étonnement — nous assistons de fait depuis une dizaine d’années à l’émergence d’un courant de pensée à la fois réactionnaire (issu du libertarianisme à la Hoppe) et technophile/transhumaniste au sein de la Silicon Valley : de quoi remettre en question certaines conceptions du progrès.

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