L’innovation ouverte (open innovation) est un sujet très à la mode depuis quelques années en Europe, et depuis plus longtemps aux US (disons depuis 15-20 ans). Nous allons nous étendre sur l’innovation ouverte dans de plusieurs articles à venir. Avant d’être ouverte, l’innovation était fermée. On parlait alors d’innovation fermée (closed innovation), bien qu’en réalité, l’expression closed innovation soit apparu en même temps que l’expression open innovation.

Définition de l’innovation fermée

Innovation fermée : le processus menant à l’innovation doit être complètement contrôlé ; toute la propriété intellectuelle est développée en interne et reste en interne jusqu’à la mise sur le marché du nouveau produit.

En particulier, les étapes suivantes doivent être sous contrôle de l’entreprise :

  • La génération d’idées inventives,
  • Le développement,
  • La production,
  • Le marketing,
  • La distribution,
  • Le financement,
  • Le support.

Le manque d’implication des universités et des gouvernements à l’origine de l’innovation fermée

Une des raisons principales qui a conduit à une gestion fermée de l’innovation est le manque d’implication des universités et des gouvernements au début du 20ème siècle dans les applications industrielles et commerciales de la recherche scientifique. Ce manque d’implication à conduit les entreprises à créer leurs propres départements de Recherche et Développement (R&D) afin de contrôler parfaitement les cycles de développement des nouveaux produits.

La période entre la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le milieu des années 80 correspond à l’âge d’or pour les activités de R&D internes. Les départements R&D de beaucoup d’entreprises privées se sont retrouvée à la pointe de la recherche scientifique. Par ailleurs, cette dévotion à la R&D interne était perçue par les concurrents potentiels comme des barrières à l’entrée signifiantes, compte tenu des investissements qu’ils devraient effectuer pour concourir.

La logique de l’innovation fermée implique une intégration verticale profonde (des outils de fabrication jusqu’au services après vente) : l’entreprise ne peut et ne doit compter que sur elle seule, en particulier pour ce qui concerne ses technologies critiques. C’est à cette époque que le syndrome du Not Inveted Here est apparu : tout ce qui vient de l’extérieur est par défaut suspect et n’est pas fiable.

Une hypothèse cruciale sous-jacente : pas de fuites

La figure ci-contre représente le paradigme de l’innovation fermée. Les lignes en pointillés noir (~horizontales) représentent les frontières de l’entreprise. Les idées inventives sont générées au sein de l’entreprise, se transforment en projets de recherche, passent éventuellement en développement et donne peut-être lieu un jour à un nouveau produit sur le marché. Les projets n’intéressant pas le marché visé par l’entreprise sont simplement filtrés au cours du processus pour être abandonnés.

Tension entre Recherche et Développement

Une certaine tension existe entre la Recherche et le Développement du département R&D, liée au fait principal que les motivations, les priorités et les personnes ne sont pas les mêmes.

La Recherche

La Recherche est synonyme d’exploration, de nouvelle frontière, de nouvelles découvertes (pourquoi) qui ne peuvent être ni prédites ni prévues. Les personnes du centre de recherche ne voient pas les contraintes temporelles d’un très bon œil. La Recherche est généralement structurée en centre de coût : son objectif est de coller à son budget.

Le Développement

Le Développement est synonyme d’exécution (comment). Il prend le résultat de la Recherche comme une entrée. Le Développement est piloté par des ingénieurs habitués à résoudre des problèmes sous contraintes temporelles et budgétaires. Contrairement à la Recherche, le Développement est généralement structuré comme un centre de profit avec son propre pertes-et-profits.

L’étagère comme solution

Afin de palier ce problème de connectivité entre Recherche et Développement et de diminuer leur couplage, de nombreuses entreprises ont mis en place un buffer (= un tampon) entre les deux départements. Le buffer consiste à placer les technologies issues de la Recherche sur étagère en attendant que le Développement soit prêt à les prendre en charge. Pendant l’âge d’or d’après guerre, de nombreuses découvertes ont été ainsi stockées sur étagère pendant des durées qui pouvait atteindre plusieurs années.

Ainsi les entreprises importantes entraient dans un cercle vertueux en investissement largement dans le département de R&D et en capturant une fraction importante de la valeur des technologies créées par la mise sur le marché de produits.

Pour assurer la pérennité de ce cercle vertueux, la gestion des personnes qualifiées et de la propriété intellectuelle est fondamentale. Aussi longtemps que les personnes restent au sein de l’entreprise et que la propriété intellectuelle est protégée, le cercle vertueux est maintenu.

Cependant dans de nombreux secteurs industriels, un ensemble de facteurs a contribué à l’érosion du cercle vertueux et a rendu le paradigme de l’innovation fermée caduque et les entreprises qui n’ont pas su s’adapter ont subit des pertes ou des manques à gagner colossaux. A suivre dans notre article « l’érosion du paradigme de l’innovation fermée ».

Liens et références

Littérature sur l’innovation ouverte

Illustrations

  • La photo « Sorry… we are closed » est sous licence Creative Commons ; elle est disponible ici.