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Hélène Loncin est actuellement Manager Innovation et Développement Stratégique chez GTT et Présidente de Cryometrics. Située au cœur de l’innovation dans le secteur du transport de gaz naturel liquéfié, elle apporte ici un regard concret sur les bouleversements induits par la transformation digitale sur les stratégies industrielles, sans oublier les mutations dans l’organisation du travail.

1. Quel parcours vous a amené à devenir Manager Innovation et Développement Stratégique chez GTT et Présidente de Cryometrics?

Helene LoncinMa formation de départ est celle d’un ingénieur généraliste, mais je ne suis pas née le jour où j’ai obtenue mon diplôme! Je suis Belge et en sortant d’école mon désir était de travailler un jour dans une entreprise spécialisée dans la chimie en Belgique. L’entreprise en question avait incorporé une part de services dans son activité, et je me suis donc d’abord intéressée aux services en travaillant pour Engie dans le secteur des SSII. Trois ans plus tard j’avais fait le tour de l’art de réaliser des spécifications fonctionnelles pour SAP et je suis partie faire un MBA aux USA, ou plutôt entre la Chine et Boston sur 12 mois. Ce qui a passablement chamboulé ma perspective d’ingénieur européen soucieux de poser des cadres bien définis et de s’y tenir absolument. Le passage par des mondes différents a retourné ma tête (mais dans le bon sens!) concerant le développement d’un business. La casuistique dispensée dans le MBA m’a donné plein d’idées. C’est vraiment à ce moment que j’ai compris qu’innovation et recherche ne sont pas la même chose. Edison est parfois conspué par les chercheurs mais c’est quelqu’un qui est passé de ce qui est intelligent sur le papier à un vrai business. Ce fut une période extraordinaire de prise de conscience pour moi et j’en garde un excellent souvenir. De retour en Europe en 2012 je suis donc allé travailler pour cette entreprise de chimie au fin fond de la Wallonie, avec un objectif ambitieux : faire de l’innovation avec des détergents dans l’industrie agro-alimentaire, au sein d’un laboratoire de 12 personnes parmi 200 employés (100 en Belgique). J’ai appris énormément de choses, avec des gens qui avaient plein d’idées. La vraie question a été de gérer ce foisonnement et d’arriver à faire monter des projets qui fonctionnent, pour que des idées sympathiques sur le papier deviennent de vrais business. Cette aventure a duré un an et demi. Je me suis rendue compte que cet environnement professionnel ne me convenait pas tout à fait. Je suis revenue en France à la recherche d’une nouvelle aventure, et j’ai rencontré GTT par la force du hasard. GTT est une entreprise qui vit depuis cinquante ans d’une série de coups de génie dans le domaine du stockage et du confinement de gaz naturel liquéfié (GNL) dans des bateaux. Le business model de GTT est basé sur les licences de brevets, ce qui de nombreuses conséquences sur la culture et l’organisation. Sur cinquante ans, ça engendre des réflexes défensifs. Entre 2010 et 2013 s’est mise en place une nouvelle équipe de direction, avec une nouvelle orientation stratégique : chercher de nouveaux marchés, de nouvelles applications, valoriser les compétences dans des domaines différents, penser en termes de services. À la base nous intervenons essentiellement au moment de la conception du navire. Une fois le bateau monté on perd le contact avec le propriétaire, ce qui est domage car il se passe beaucoup de choses intéressantes tout au long de sa durée de vie (40 ans). Le propriétaire, c’est celui qui spécifie les technologies du bateau, notre intérêt est de garder le contact avec lui : Cryometrics, créée fin 2015, est une spin-off qui répond à ce souci. Nous avons capitalisé sur nos compétences scientifiques internes en thermodynamique, et plus spécifiquement dans la thermodynamique du GNL. Nous avons imaginé de nouveaux services d’autre part, en particulier un service qui vise à regarder le méthanier comme un actif industriel notamment en termes de big data permettant d’optimiser le transport de la marchandise.

2. Quelle est l’importance de l’innovation dans votre secteur?

Elle est essentielle, et ce à deux niveaux. D’abord au niveau du cœur de métier : une entreprise qui vit de la licence de ses brevets et engrange des royalties est tout simplement condamnée à innover. Sans gains de performance de la technologie, le licencié éprouve rapidement de la fatigue à payer. La R&D est donc très importante dans l’entreprise : elle représente un tiers des salariés, dans une activité très technique avec beaucoup d’innovation incrémentale étroitement liée aux questions que se posent les clients. L’incrémental a l’avantage d’être facilement accepté, mais montre aussi ses limites car le rendement est décroissant. Penser la rupture n’est donc pas quelque chose que l’on peut esquiver. Et là les choses qui sont envisagées sont beaucoup plus radicales qui concernent le design, les matériaux. Cela impacte nos préconisations sur la manière optimale de gérer les pressions sur la structure. Le but est d’obtenir des performances en rupture avec ce qui existe. L’un des indicateurs de performance d’un système dans notre industrie est le taux de cargaison perdue principalement en raison de la différence de température entre milieu intérieur (-163° C) et extérieur (15° C), avec des pertes à hauteur de 0,1% par jour, ce qui est significatif. Il y a plusieurs mois, nous avons commercialisé un système qui nous permet de garantir une amélioration de la performance de 30%.

L’autre niveau où l’innovation est essentielle, c’est celui des applications à d’autres marchés. Ce qui implique aussi de de déployer des business models différents. Le GNL peut par exemple être utilisé comme carburant pour autre chose, est ne pas être simplement un hydrocarbure transporté d’un point à un autre, par exemple du Qatar au Japon. Nous aimons les applications marines, mais il n’y pas de raison de ne pas envisager les transports en train ou en bus. Certes les hydrocarbures ne sont pas aussi verts que d’autres sources, mais au sein de la famille des hydrocarbures le GNL est ce qu’il y a de plus propre. Brûler du méthane n’engendre pas de particules, juste du CO2. Donc il s’agit d’une énergie de transition. Nous regardons ces applications avec intérêt parce qu’on peut proposer des solutions intéressantes, compétitives, avec un potentiel gigantesque. Mais c’est un chemin qui impose d’apprendre à fonctionner différemment. Ce genre de projets génère de nombreuses ruptures, à commencer par le fait qu’on n’y fait plus du sur-mesure dans le moindre détail, tout de suite. On apprend à aller parler à un client, parce que pendant des années tout était connu d’avance, on savait comment les choses marchaient. Le marché est en plein développement.

3. Pouvez-vous illustrer votre propos à travers un projet d’innovation concret?

Oui : Cryometrics. Le sujet de Cryometrics c’était de répondre au pain point suivant : l’évaporation de la cargaison, qui est mesurable et qui représente des dizaines de milliers de dollars par jour pour un méthanier. Donc que peut-on faire? Nous avons de bons ingénieurs en thermodynamique, à qui nous avons confié une mission folle : “Messieurs, vous trois, nous vous donnons du temps pour mettre au point un modèle de prédiction du comportement de la cargaison.” Nous avons attaqué le sujet sans se demander si c’était faisable. Et ils ont sorti un modèle qui semblait correct sur le papier. L’étape suivante consistait à vérifier le modèle sur de vraies données de bateau. Mais nous n’avons pas de bateaux. Donc nous avons proposé à l’industrie une solution pour mesurer la performance des navires, en récupérant et en traitant les données des systèmes centraux des navires, ce qui permet d’informer nos clients en temps réel sur la situation de leurs navires. Et au passage nous utilisons les données pour valider nos efforts de R&D. Comme dans toute recherche, il y a des choses à ajuster, mais de fait notre modèle marche plutôt bien. La suite consiste à transformer le code en Python en code commercial robuste déployable sur un site industriel qui flotte. Cela a été une belle aventure pour l’équipe, avec une belle montée en compétence. C’est une petite startup en mode commando à l’intérieur de l’entreprise-mère, avec son bâtiment dédié où se rassemblent les développeurs, les scientifiques, les responsables projets, les chargés des relations avec les clients.

4. Que pensez-vous de la notion d’organisation ouverte?

Je ne pourrais pas donner une définition bien propre venant d’un expert sur la question. Ce que j’imagine, c’est une organisation dans laquelle on n’est pas lié par un statut de salarié, mais où on est associé à une plateforme de compétences, et où en fonction des projets et des besoins je travaille pour différentes entreprises. Et cela m’inspire pas mal de réflexions. Déjà, cela me fait penser au talk d’Albert sur l’horizon 2033, où peut-être chacun sera son propre employeur, et travaillera sur des projets à la fois temporaires selon ses compétences, par exemple la modélisation thermodynamique en Python, grâce à une plateforme sécurisée — comment, je l’ignore encore… Ce qui m’intéresse, c’est la transition : qu’est-ce qui va se passer entre 2017 et 2033? La gestion des compétences dans l’industrie en fonction de l’activité est un vrai sujet en France. Les plans sociaux dépriment tout le monde. Comment faire pour que les collaborateurs soient sécurisés, parce que c’est important, et ne pas mettre les entreprises en péril dans des périodes plus difficiles. L’entreprise Soitec a tenté une approche très intéressante de ce point de vue. Il s’agit d’une entreprise grenobloise de semi-conducteurs qui s’est trouvée confrontée à une alternative entre un plan social touchant une centaine de collaborateurs, ou autre chose. La DRH a mis en place un système intéressant de détachement de relativement longue durée dans diverses entreprises de la région. Les collaborateurs ont découvert d’autres activités, l’entreprise a pu gérer de manière satisfaisante sa baisse d’activité. Certes, il ne s’agit pas là d’une organisation complètement ouverte, mais cette entreprise s’est autorisée à fonctionner de manière plus ouverte à ses bornes. Je pense que c’est intelligent, par ce que ça règle le problème de l’entreprise tout en donnant des perspectives aux collaborateurs — qui peuvent à l’occasion découvrir des activités où ils préfèreront rester. Et rien ne sera perdu.

5. Quels sont vos héros?

Il y a un personnage de fiction que je trouve extraordinaire : Docteur Who. Je crois que c’est la série de la BBC à la plus grande longévité, totalement surréaliste et bourrée d’humour anglais, avec six incarnations différentes du personnage principal, à tel point que ça en devient un jeu de savoir qui sera la nouvelle incarnation du docteur. Et ce n’est pas parce qu’il sauve le monde que je suis fan, mais parce qu’il n’y a pas un épisode qui ne défie pas la règle selon laquelle il renverse toujours les situations. Il sait porter un regard out of the box sur le problème ou la situation. C’est fin, c’est génial, c’est à la fois très technologique (techno-cheap parfois) et très humain. Je suis une grande fan. Il n’existe pas, mais ça pourrait bien être mon héros.

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